Le sexe est-il une obligation, un devoir conjugal ?
- Isabelle WINCENT
- 26 déc. 2024
- 6 min de lecture
Le sexe dans le couple reste un sujet brûlant, souvent abordé en thérapie conjugale. Avec des mentalités qui évoluent vers plus d’égalité, la notion de « devoir conjugal » n’appartiendrait-elle pas au passé ? Aujourd’hui, le lit conjugal est-il encore une source de tensions ou bien le lieu d’une vraie complicité et d’une liberté partagée ?

Les origines
Autrefois, le mariage n’avait rien à voir avec la vision idyllique et romantique qu’on en a aujourd’hui. Ce n’était pas un acte d’amour, mais une alliance stratégique, souvent motivée par des impératifs sociaux, financiers, voire politiques. Dans ce contexte, la sexualité ne visait pas à l’épanouissement personnel ni à la recherche du plaisir, mais avant tout à la procréation et à la transmission de l’héritage familial. La notion de jouissance individuelle était inexistante, et les relations physiques étaient dans le but primordial de préserver la lignée et assurer la continuité de la société. Fidélité et reproduction étaient des obligations non négociables ! Le mariage, lui, était un contrat uniquement pour garantir la stabilité sociale et domestique. Les émotions personnelles étaient reléguées au second plan, et le respect de ces obligations était considéré comme l’essentiel même du mariage.
Au Moyen Âge, cette vision fonctionnelle s’est vue renforcée par l’influence de l’Église chrétienne, qui a imposé une morale stricte autour de la sexualité. Elle enseignait que le sexe était approuvé que dans un but reproductif, et que toute forme de désir ou de plaisir était perçue comme pécheresse. Cette approche a duré des siècles, façonnant les pratiques conjugales et reléguant souvent le consentement personnel au second plan, derrière les impératifs sociaux et pieux. L’idée que la sexualité soit un devoir obligatoire, plutôt qu’un bonheur partagé, est restée profondément ancrée dans les mentalités, renforçant une dynamique de pouvoir inégale entre les conjoints.
Ce n’est qu’au XXe siècle que la conception du mariage et de la sexualité a véritablement été bousculée. Les mouvements féministes, en luttant pour l’égalité et les droits des femmes, ont joué un rôle déterminant dans cette révolution. Dans les années 60 et 70, les femmes ont pris la parole et exigé leur liberté, notamment dans le domaine de la sexualité, rejetant l’idée que le mariage soit une contrainte sexuelle. Le droit de disposer de son corps et de choisir ses relations intimes est ainsi devenu un principe fondamental.
Mais malgré ces changements, l’idée que la sexualité conjugale soit un devoir est restée ancrée pendant longtemps. D'ailleurs même dans plusieurs pays, des lois considéraient encore le refus des relations sexuelles comme une faute, et un conjoint qui s’y opposait pouvait être accusé de négligence, voire justifier un divorce. Les femmes, en particulier, étaient souvent vues comme n’ayant pas le droit de refuser leurs "devoirs conjugaux", renforçant une dynamique de pouvoir inégale et un contrôle sur leur corps.
Cependant, des avancées législatives ont peu à peu changé la donne. Des lois ont été adoptées pour garantir que le consentement soit désormais inaliénable, même dans le mariage, et la notion de "devoir conjugal" a été totalement abolie.
Fin de l'obligation, place au désir
Fini le temps où le mariage ouvrait automatiquement la porte à l’intimité de l’autre, sans question. Aujourd’hui, chaque "oui" doit être donné librement, et cette révolution dépasse le cadre juridique pour toucher les fondements mêmes de la culture et des relations. En plaçant le respect et l’autonomie au cœur de l’intimité, les dynamiques conjugales ont connu une transformation profonde.
Pendant des siècles, le "devoir conjugal" faisait partie des règles non discutables du mariage, surtout pour les femmes. Le consentement individuel n’avait pas sa place, et le mariage était perçu comme un engagement sans retour. Mais l’adoption légale du concept de viol conjugal a mis fin à cette norme. Désormais, dans de nombreux pays, le mariage ne signifie plus renoncer à son droit de dire "non", brisant ainsi un tabou ancien et affirmant que le consentement est désormais un principe fondamental des relations intimes.
Cette évolution légale a ouvert la voie à un bouleversement radical de la vie conjugale. L’intimité n’est plus une obligation, mais un espace de désir et de plaisir partagé. Parler de sexe n’est plus un sujet tabou, mais une clé pour construire une relation saine, épanouie et respectueuse.
La révolution du consentement n’est pas seulement une question de "non" quand cela est nécessaire, mais elle ouvre aussi la porte à un "oui" donné avec enthousiasme. Cette révolution nous invite à redécouvrir que l’intimité est un espace de liberté, de complicité et de partage, où l’amour et le désir se vivent pleinement, sans contrainte.
Construire une sexualité respectueuse et équilibrée
Quand il s’agit de sexualité, chaque individu a ses propres rythmes, besoins et désirs. Certains recherchent une connexion physique intense et régulière, tandis que d’autres privilégient les gestes tendres, la complicité ou un lien émotionnel plus profond. Ces différences, souvent ignorées ou évitées, peuvent rapidement devenir une source de frustration ou de conflit si elles ne sont pas abordées avec compréhension.
Parler de ses désirs, de ses attentes, mais aussi de ses craintes peut sembler gênant au début, voire inconfortable. Cependant, c’est une étape essentielle pour éviter les malentendus et les tensions. Mettre cartes sur table permet à chaque partenaire de mieux se comprendre, d’ajuster ses attentes et de construire un équilibre où chacun trouve sa place.
L’intimité ne se limite pas à l’acte sexuel. Elle englobe tous ces petits moments qui nourrissent le lien entre deux personnes, un regard complice, un câlin inattendu, une conversation sincère à cœur ouvert. Ce sont ces gestes, apparemment simples mais profondément significatifs, qui renforcent la connexion et maintiennent la flamme vivante. En osant se parler sans filtre, les couples transforment leurs différences en force et construisent une relation plus riche, épanouie et pleine de complicité.
Les religions ont-elles évolué aujourd'hui dans leur vision de la sexualité conjugale ?
La perception de la sexualité conjugale au sein des religions a évolué de manière significative, bien que des variations demeurent en fonction des différentes traditions et interprétations.
Dans le christianisme, par exemple, une majorité des églises chrétiennes, tout en conservant l'idée du mariage comme une institution sacrée, mettent désormais un accent plus fort sur l'égalité entre les partenaires, le respect mutuel et le consentement dans la sexualité. De nombreuses églises promeuvent une vision plus ouverte, où la sexualité conjugale n'est pas seulement un moyen de procréation, mais aussi une source de plaisir et de connexion intime. Toutefois, certaines branches conservatrices continuent de privilégier une vision plus stricte de la sexualité, considérant que celle-ci doit avant tout répondre aux objectifs reproductifs.
Dans l'Islam, la sexualité reste un sujet complexe et parfois controversé. Bien que de nombreuses interprétations modernes cherchent à mettre en avant le respect, l’égalité et le consentement mutuel, certaines lectures traditionnelles insistent encore sur la soumission de la femme et l’obligation sexuelle dans le mariage. Cependant, un nombre croissant de voix progressistes dans les milieux islamiques militent pour une vision plus respectueuse des droits des femmes et des principes d’égalité dans les relations intimes.
De leur côté, le judaïsme et l’hindouisme ont également évolué, avec une vision plus flexible de la sexualité conjugale. Le judaïsme, par exemple, met l'accent sur l’harmonie du couple, et les interprétations modernes soulignent le respect des besoins et du consentement des deux partenaires. L’hindouisme, quant à lui, aborde la sexualité dans un contexte plus spirituel, valorisant l’union entre les partenaires mais encourageant aussi un équilibre entre les désirs physiques et spirituels.
Enfin, dans des religions comme le bouddhisme, la sexualité est abordée de manière plus détachée des impératifs sociaux et religieux. Le bouddhisme prône une approche modérée, où la sexualité n'est ni bonne ni mauvaise en soi, mais doit être vécue avec conscience et équilibre, en évitant l'attachement excessif aux désirs corporels.
En somme, aujourd'hui, bien que les religions conservent leurs principes fondateurs, une large majorité prône une approche plus nuancée et respectueuse de la sexualité conjugale. Le consentement, l’égalité et le respect mutuel sont de plus en plus considérés comme des éléments essentiels, au point où certaines traditions religieuses revoient leurs préceptes pour intégrer des valeurs modernes, alignées avec l’évolution des droits humains et des libertés individuelles.
Conclusion
La notion de "devoir conjugal" appartient au passé. Aujourd'hui, l'intimité dans le couple repose sur le consentement, le respect mutuel et le désir partagé. Le sexe n'est plus une obligation, mais un plaisir, un échange libre et authentique. Les couples modernes, en redéfinissant les rôles et en mettant l’accent sur l’égalité, ouvrent la voie à des relations plus équilibrées et épanouissantes. Cette évolution souligne que l’intimité est avant tout un espace de liberté et de complicité, où l’essentiel réside dans le plaisir d’aimer et d’être aimé sans contrainte.